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IDEOS
11 juillet 2009

"Slumdog Millionnaire" ou la mondialisation heureuse

Film britannique sur l’Inde (adapté d’un roman indien), acteurs Indiens, succès mondial. Tout est (presque) dit. « Slumdog » est sans conteste le premier film qui exalte avec tant d’efficacité ce qu’on pourrait appeler « la mondialisation heureuse ». Certes il y a des méchants, des étapes à franchir, des obstacles à surmonter, mais c’est la même histoire dans tous les contes de fée. Le plus important c’est qu’à la fin, le gentil héros gagne.
Et Jamal gagne … des millions ! C’est d’ailleurs un jeu télévisé mondialement connu et diffusé qui occupe le centre du film. On notera que la question décisive, qui concerne « Les Trois Mousquetaires », nous renvoie à une culture, certes classique, mais tout de même mondialisée.
Pas étonnant non plus que Jamal travaille dans un centre d’appel où les pendules affichent l’heure des principales métropoles du monde. Enfant, il guide les touristes occidentaux venus découvrir les merveilles d’une Inde fantasmée.

L’Inde justement cristallise les enjeux de la mondialisation. Le film s’inspire beaucoup de l’esthétique bollywoodienne (voir la scène de danse finale). Cette Inde, cœur d’une mondialisation contradictoire, n’échappe pas à son côté sombre : trafics de toutes sortes, exploitation des enfants, financiers mafieux et cyniques, seigneurs de la guerre économique, omniprésence de l’argent (sale). Pourtant, c’est bien la mondialisation, quasiment incarnée par « Qui veut gagner des millions ? », qui sauve Jamal et lui permet de retrouver son premier amour. L’alternance des plans entre le plateau télé et la baignoire où va mourir le frère de Jamal -celui qui a opté pour le versant sombre et sordide de la mondialisation- oppose l’argent gagné en toute innocence (Jamal refuse même de tricher et connaît en fait les réponses malgré lui) à l’argent de la corruption et des multiples malversations (matérialisé par les liasses de billets qui débordent de la baignoire). Face aux lumières des projecteurs (« Shining India » ?), l’obscurité du crime, la noirceur du vice. Face à la mondialisation ludique et fédératrice (les rues de Mumbai envahies par la population qui se presse devant les écrans de télé), la mondialisation qui sépare, détruit et tue.

Au fond, le schéma est simple, et plutôt connu : un jeune garçon pauvre, issu des bas-fonds de la société, accède au bonheur (comprendre richesse + amour) après une série d’épreuves initiatiques qui lui apprennent la vie (comme les réponses aux questions). Les résidus du merveilleux, ce sont justement les questions qui, malgré leur diversité, correspondent toujours à une expérience vécue par le héros.
La puissance de ce film, c’est qu’il est en fait une mise en abyme. Les milliers de spectateurs qui se pressent pour regarder le triomphe télévisé de Jamal sont à l’image des millions de personnes assises devant leur grand écran. C’est dans cette communion autour de nouveaux codes communs, autour de nouvelles références partagées que réside la secrète fascination euphorique qu’a pu susciter ce film à travers le monde. Joe Morgenstern, critique de cinéma du « Wall Street Journal » parle même du « premier chef-d'œuvre de la mondialisation ».
Pourtant, les réactions en Inde ont été mitigées, certains accusant le film d’être un fantasme occidental. Mais c’est bien là une définition possible de la mondialisation contemporaine, elle est une idéologie occidentale chargée de représentations, d’imaginaires collectifs qui déforment les réalités. Il suffit de voir les offres « exotiques » des agences de voyages pour s’en convaincre…

Ce qui me fait dire que la « mondialisation heureuse » triomphe à la fin de ce conte des temps modernes, c’est que le versant sombre de cette mondialisation est sans cesse réfuté par l’extrême vitalité qui se dégage du film. On ne compte pas les voyages en train accompagnés de musiques bien rythmées qui, elles aussi, ont fait le tour du monde (certaines reprises par des groupes américains). L’énergie vitale, qui circule des enfants (toujours enthousiastes, inventifs, espiègles) jusqu’à la foule en liesse de la fin du film (sans parler de la scène de danse finale), le mouvement perpétuel de l’euphorie finissent par occulter les pulsions de mort, dont la captivité (celle des enfants, celle de Latika) est une des facettes. La victoire de Jamal est l’occasion pour le cinéaste de concentrer (visuellement, symboliquement) en un instant toutes les énergies autour d’un plateau télé en forme de cercle (on fera attention au logo de l’émission, qui peut évoquer, sinon le globe terrestre, du moins une infinité de réseaux dans un espace circulaire fermé). Pour paraphraser Beckett, on pourrait dire de Jamal qu’à cet endroit, à ce moment-là, l’humanité c’est lui.

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