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IDEOS

11 décembre 2009

Pour une esthétique de l'écologie populaire

"Ecologie populaire": c'est la nouvelle trouvaille des experts en comm' de l'UMP (plus inspirés, il est vrai, que les auteurs du Lipdub qui a conduit tout le gouvernement à se jeter dans les bras du burlesque et du ridicule). Formule choc et finement ciselée, écho subtil au nom du mouvement de la majorité présidentielle, ce nouveau slogan mérite de faire l'objet d'une approche esthétique et littéraire.

Plagiats: Le Lipdub des jeunes UMP (dont on ne se lasse décidément pas) se clôt sur l'image du globe terrestre accompagné du slogan "Changeons le monde". C'est, peu ou prou, le copier-coller de la communication des Verts pour les législatives de 2007 (http://lesverts.fr/IMG/arton3124.jpg).
L'UMP pousse le vice jusqu'à reprendre la rhétorique de CPNT en opposant une écologie négative (celle des bobos de Duflot) à une "écologie positive", en phase avec le peuple. La moindre des courtoisies aurait été d'intégrer Frédéric Nihous et Jean Saint-Josse (si si, vous les connaissez, cherchez bien) au clip du Lipdub, fusil en main et droits dans leurs bottes.

Caricatures et réécritures: Si l'UMP reprend les slogans des Verts, elle revendique sa différence politique. Ces vilains Verts, nous répète-t-on sans cesse, sont pour la décroissance, et veulent précipiter le pays dans la récession. Pas de chance, les Verts ne se sont jamais prononcés pour la décroissance, si ce n'est la décroissance de l'empreinte écologique. Daniel Cohn-Bendit, accusé d'être le gourou de cette secte rétrograde, parle lui-même de croissance élective et de décroissance sélective tandis qu'Alain Lipietz met en garde contre une posture de la décroissance à tout prix aussi pernicieuse que celle de la croissance infinie.

Parodies et paronomases (ou presque): L'écologie populaire doit donc s'imposer contre et face à l'écologie politique, dangereuse idéologie de la régression sociale et du retour à l'âge de pierre. Pourquoi, après tout, faire de l'écologie une politique quand suffisent la démagogie et le verbe verdit?
Il s'agit d'être pour et avec le peuple, celui qui n'a ni la chance ni les moyens de rouler en 4*4, de voyager en jet privé et de passer l'été à Dubaï pour skier sur de la neige artificielle.
Il s'agit d'être pour et avec le peuple qui paie bien cher les péages des autoroutes privatisées.
Il s'agit d'être pour et avec le peuple qui paiera une taxe carbone socialement injuste et écologiquement inefficace.
Il s'agit d'être pour et avec le peuple qui consomme les produits empoisonnés d'une agriculture industrielle et intensive peu soucieuse de l'environnement qu'elle exploite, mais qu'on soutient.

Métaphores et anaphores: Sans aucun doute, les UMPistes sont verts de peur quelques mois avant des élections régionales où les écologistes vont être de sérieux adversaires. La virulence du discours anti-écolo de Sarkozy le prouve: "Est-ce qu'ils savent qu'il y a du chômage (...) , est-ce qu'ils savent qu'il y a près d'un milliard de personnes qui ne mangent pas à leur faim?"
Je vous laisse méditer la prouesse rhétorique de l'interrogation maniée comme une charrue à boeufs...
Souhaitons-leur bien du courage pour labourer la campagne.
Mais peut-être faudrait-il, pour creuser leur sillon, user de lames un peu plus fines.

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26 juillet 2009

« Ceci est mon corps »: le pape et les gender studies

« Il est nécessaire qu'il existe quelque chose comme une écologie de l'homme, entendue d'une juste manière. Il ne s'agit pas d'une métaphysique dépassée, si l'Eglise parle de la nature de l'être humain comme homme et femme et demande que cet ordre de la création soit respecté. Ici, il s'agit de fait de la foi dans le Créateur et de l'écoute du langage de la création, dont le mépris serait une autodestruction de l'homme et donc une destruction de l'œuvre de Dieu lui-même. Ce qui est souvent exprimé et entendu par le terme "gender", se résout en définitive dans l'auto-émancipation de l'homme par rapport à la création et au Créateur. L'homme veut se construire tout seul et décider toujours et exclusivement tout seul de ce qui le concerne. Mais de cette manière, il vit contre la vérité, il vit contre l'Esprit créateur. »

Discours du Pape Benoît XVI à la Curie romaine à l'occasion de la rencontre traditionnelle pour les voeux de Noël.
Lundi 22 décembre 2008

Surprenante et peu remarquée sortie de Benoît XVI il y a quelques mois. Le pape stigmatise cette fois tout un champ de recherche ainsi que les universitaires qui y sont engagés. Cette attaque est en outre placée dans un paragraphe traitant de l'écologie. Le discours glisse insidieusement de la protection de l'environnement à ce que Benoît XVI nomme « une écologie de l'homme », écologie d'une humanité naturellement et invariablement divisée en maculin et féminin. Il s'agit évidemment de protéger cette « nature double » contre ce qui la menace (le concept bien commode de « nature » sert ici l'amalgame).

Le pape nous rejoue dans ces quelques lignes la scène dramatique de la Genèse: le « gender » est le serpent qui permet la réunion du masculin et du féminin dans la même transgression de l'ordre divin. Le serpent, vertical ou enroulé, est lui-même symbole androgyne, confondant les genres. Lucifer, souvent assimilé à Satan, est avant tout, même déchu, un ange (donc sexuellement indéterminé)... Les gender studies, parce qu'elles prennent le parti de l'immanence contre la transcendance, parce qu'elles incitent l'Homme à (se) connaître par ses propres moyens, le condamnent aux yeux du divin. Comme dans l'épisode biblique inaugural, la révolte, la transgression de l'interdit pour l'accès au savoir et à la liberté entraînent inévitablement une double rupture, dans la nature même de l'Homme et dans la nature du lien qui le lie à Dieu.

En opposant de cette manière gender studies et Création, le souverain pontife situe celles-ci du côté de la destruction et de la décadence, les assimilant explicitement à la catastrophe écologique. La désertification et la déforestation, comme la notion même de « gender » (clef de voûte de la réflexion des mouvements gays, lesbiens, transgenres), portent atteinte au projet reproducteur de « l'Esprit créateur ». Cette insistance sur la notion (d'auto-)destruction tend à faire des centres de recherche en gender et queer studies les Sodome et Gomorrhe de l'Université.

Le pape reconnaît au moins, même s'il la désavoue, la démarche émancipatrice des gender studies. C'est pourtant là que se tisse le véritable lien, s'il faut en trouver un, avec l'écologie. En effet, force est de constater que les problématiques de genre ont été très tôt portées – avec force et conviction – par les mouvements (proches) de l'écologie politique, Les Verts en tête. L'explication est peut-être à chercher dans la conscience aiguë et lucide que les écologistes ont de l'importance des pratiques et des constructions culturelles sur l'environnement naturel et humain. Ajouter à cela la protection et la promotion de la diversité consubstancielles à la vision écologiste du monde permet de comprendre comment la pensée de l'écologie politique est en réalité indissociable d'un combat farouche contre toutes les oppressions, pour la liberté de choisir sa vie.

Non seulement la réaction du pape révèle le pouvoir de déconstruction, de subversion et de déstabilisation des gender studies, mais elle exhausse aussi les enjeux philosophiques et politiques qui en dépendent.
"N'ayez pas peur" avait lancé Jean-Paul II...

17 juillet 2009

Eonnagata: pour la beauté du geste

"Alliance du nom du Chevalier d'Eon, célèbre espoin de Louis XV travesti en femme et de l'Onnagata, qui désigne la qualité de l'acteur jouant un rôle de femme dans le théâtre japonais Kabuki, Eonnagata marque les retrouvailles de Sylvie Guillem et du chorégraphe Russell Maliphant, accompagnés et mis en scène par Robert Lepage" peut-on lire sur le programme de ce spectacle qui fut sans conteste l'un des événements du festival de Fourvière 2009.
Réflexion sur le genre, réflexions des corps androgynes et des lumières qui séparent, fondent ou vacillent.

Voir le programme et des extraits
http://www.nuitsdefourviere.fr/2009/art-prog.php3?id_article=414

Figures
Costumes, accessoires, musiques et mouvements interrogent l’identité sexuée des personnages jusqu’à la confusion. Robert Lepage s’extirpe d’une marionnette monumentale (une Geisha?) qui évoque les pratiques du théâtre japonais; n’incarne-t-il pas à ce moment l’arrachement au féminin constitutif de toute masculinité, arrachement que Monique Schneider analyse dans son ouvrage « Généalogie du masculin »?
Les figures du double, du reflet et de Narcisse sont magnifiquement mises en scène. La coordination parfaite des corps crée le miroir absent de la scène: il n’y a ni copie ni original mais une tension constante entre ce qui est et ce que le spectateur croit voir. Comment mieux mettre à nu la « réalité » même du genre?
Le genre serait donc cette parodie analysée par Judith Butler. Or il y a bien une parodie de duel dans le spectacle, entre la chevalière d’Eon et un gentilhomme fidèle représentant de la fatuité masculine de l’époque. Le duel devient numéro de cirque, les armes sont l’épée contre le cerceau, la verticale masculine et le cercle féminin. Les combattants se croisent, les armes s’échangent, le duel se fait duo, les identités s’affrontent moins qu’elles ne se mêlent.


Coupures
La thématique du combat se décline de toutes les manières. Sylvie Guillem est époustouflante en chevalier d’Eon maniant la plume comme l’épée. Se battre contre les autres, contre soi-même… Malgré les traits d’humour qui ponctuent le spectacle se dégage l’impression d’une lutte cruelle, d’un déchirement perpétuel. Le fleuret est l’attribut du masculin part excellence: de forme phallique, il est aussi l’objet qui perce, coupe, déchire, tranche, fait mâle/mal. Monique Schneider l’a compris, qui étudie au prix de quelles mutilations le masculin paie sa promotion et sa domination.
La coupure primordiale, et peut-être la plus douloureuse, n’est-elle pas celle qui sépara les deux parties de l’androgyne dans les temps primitifs (et dont le mythe est raconté par Sylvie Guillem)?
Le corps coupé, c’est également le corps disséqué, ouvert et examiné par les médecins et chirurgiens. Deux scènes d’examens médicaux encadrent le spectacle, rappelant l’emprise du discours scientifique sur le corps même des individus. Le genre en crise se situe donc du côté de la blessure, de la violence et de la béance.


Plus spécifiquement, la chorégraphie interroge le genre du mouvement et de l’expression corporelle. Existe-t-il des gestes masculins ou féminins? Qu’est-ce qui me permet de dire de telle ou telle gestuelle, de telle ou telle attitude corporelle qu'elle est féminine ou masculine? Le beau geste n’échappe-t-il pas à la catégorisation sexuée? La danse, parce qu’elle met directement le corps en jeu, est certainement un espace stratégique où peuvent s’expérimenter la déconstruction du genre et l’invention de nouvelles formes d’être au monde… Le profane se demandera dans quelle mesure on peut penser une danse androgyne ou dépassant les codes solidement attachés à des corps conçus comme les supports naturels, essentiels et indubitables du genre masculin ou féminin. Rien n’interdit d’essayer, pour la beauté du geste

12 juillet 2009

Michael Jackson, le dernier dandy

"Ainsi le «Roi de la pop», icône planétaire et idole transgénérationnelle, Michael Jackson, être que l’on aurait pu croire immortel tant il avait incorporé, au prix d’invraisemblables et parfois douloureuses transformations de son apparence physique, jusqu’au mythe de l’éternelle jeunesse, est-il mort. Et avec lui - s’il est vrai, comme le préconisait cet aphorisme phare du dandysme wildien, qu’«il faut soit être une œuvre d’art, soit porter une œuvre d’art» - l’un des derniers et vrais dandys de notre temps.

La trajectoire de sa vie n’est pas sans rappeler, pour le meilleur (son talent, sa fortune et sa gloire) comme pour le pire (ses procès, sa ruine et sa déchéance), certaines des caractéristiques de l’existence d’Oscar Wilde.

Au premier chef, l’esthétisation de soi : faire de sa personne, fût-ce dans l’excentricité, une œuvre d’art. Wilde l’avait expressément établi : «Le premier devoir dans l’existence, c’est d’être aussi artificiel que possible», écrit-il en ses très subversives Formules et maximes à l’usage des jeunes gens.

Charles Baudelaire, autre impeccable dandy, ne disait pas autre chose lorsque, parlant là des bienfaits de la mode et y opposant les attraits de l’artifice aux méfaits de la nature, il affirmait, en son très séduisant Eloge du maquillage, que «la mode doit être considérée comme un symptôme du goût idéal surnageant dans le cerveau humain au-dessus de tout ce que la vie naturelle y accumule de grossier, de terrestre et d’immonde, comme une déformation sublime de la nature, ou plutôt comme un essai permanent et successif de réformation de la nature». Et d’ajouter, plus péremptoire encore : «Qui oserait assigner à l’art la fonction stérile d’imiter la nature ? Le maquillage n’a pas à se cacher, à éviter de se laisser deviner; il peut, au contraire, s’étaler, sinon avec affectation, au moins avec une espèce de candeur

Assertion qui ne laisse pas de surprendre lorsqu’on sait quelle passion cet apprenti sorcier ès maquillage qu’était Michael Jackson nourrissait pour la légende, faussement naïve (quoiqu’elle ne préjuge en rien de la supposée pédophilie du sulfureux Michael), de Peter Pan ! Loin de moi, certes, la tentation d’établir ici, en forçant le trait et perdant ainsi le sens des proportions, d’indues ou vaines comparaisons.

Je me doute bien, en outre, que le créateur de Thriller, si génial soit-il, n’a probablement jamais lu l’insigne auteur des Fleurs du Mal et n’avait certainement qu’une connaissance très fragmentaire de celui de L’Importance d’être constant. Mais il n’empêche : cette obsessionnelle et quasi compulsive volonté de se créer une apparence corporelle dont les exigences formelles ne correspondent plus aux canons naturels, allant jusqu’à faire du visage un masque (figure artistique, ici en noir et blanc, du double ange et démon), est bien la première prérogative de l’esthétique dandy. Preuve en est que le sujet central de ce chef-d’œuvre de la littérature dandy qu’est Le Portrait de Dorian Gray (Oscar Wilde) n’est, à l’instar de ce mythe éminemment romantique qu’est celui de Faust (Goethe), qu’une quête éperdue, précisément, de la jeunesse tout autant que de la beauté. Et ce, paradoxalement, jusqu’à la mort.

Cet archétype du dandy, Albert Camus en avait brossé un portrait aussi remarquable qu’incisif en son Homme révolté : «Le dandy est par fonction un oppositionnel. Il ne se maintient que dans le défi. […] Dissipé en tant que personne privée de règle, il sera cohérent en tant que personnage. Mais un personnage suppose un public; le dandy ne peut se poser qu’en s’opposant. Il ne peut s’assurer de son existence qu’en la retrouvant dans le visage des autres. Les autres sont le miroir. […] Le dandy est donc forcé d’étonner toujours. Sa vocation est dans la singularité, son perfectionnement dans la surenchère. Toujours en rupture, en marge, il force les autres à le créer lui-même, en niant leurs valeurs. Il joue sa vie, faute de pouvoir la vivre. Il la joue jusqu’à la mort, sauf aux instants où il est seul et sans miroir. Être seul pour le dandy revient à n’être rien», y écrit-il dans le chapitre intitulé, très emblématiquement, «la révolte des dandys». Et, au faîte de cette pénétrante analyse, d’en inférer : «Quand les dandys ne se tuent pas ou ne deviennent pas fous, ils font carrière et posent pour la postérité.»

Magistrale conclusion : c’est le destin même du grand Michael Jackson, dandy pop par excellence, qui, illuminé désormais d’une dimension quasi métaphysique, semble là, plus tragique que jamais, résumé, sinon scellé !"

Par DANIEL SALVATORE SCHIFFER Philosophe et écrivain
http://www.liberation.fr/culture/0101577015-michael-jackson-le-dernier-dandy

11 juillet 2009

Sarkozy II: nouveau genre?

Si Sarkozy I incarnait, jusque dans le mouvement d'épaules, une maculinité énergique voire brutale, Sarkozy II a fait manifestement le choix d'une masculinité domestiquée, modérée et réfléchie. A Versailles, le Président consolide et assume sa masculinité: nous sommes bien dans l'antre de la mâle puissance des souverains français. Or, il est assez ironique de constater à quel point -sous les ors des Bourbons- Sarkozy a pris soin de défendre la République, jeune femme fragile sur laquelle il faut veiller.
Imagerie monarchique et symbolique républicaine s'allient donc pour construire la masculinité de notre président, vaillant protecteur d'une Marianne assaillie de toutes parts. Jean-François Copé et Xavier Bertrand ne s'y sont pas trompés, soulignant tour à tour la "hauteur" et la "force" de ce discours. Rien d'étonnant à ce que Nicolas Sarkozy axe une partie de son allocution (une des plus retenues, citées et commentées) sur le statut de la femme: "Nous ne pouvons accepter dans notre pays des femmes prisonnières derrière un grillage, coupées de toute vie sociale, privées de toute identité. Ce n'est pas l'idée que nous nous faisons de la dignité de la femme." (on notera le singulier qui nous renvoie à une sorte d'éternel féminin essentialisé). Il s'agit bien de préserver l'intégrité physique et morale de LA femme, qu'elle soit Marianne ou simple citoyenne. La revendication de cette protection, de cette préservation renforce un peu plus la stature masculine d'un président qui reste, comme on a pu le lire ici ou là, "droit dans ses réformes". Droiture, constance, modération sont assurément les mots-clés de la masculinité Sarkozy II.

Ce triptyque s'oppose diamétralement à tout ce qui pourrait s'apparenter, de près ou de loin, de l'hystérie (forcément) féminine, cette hystérie dont Sarkozy soupçonnait déjà Royal lorsqu'elle piquait une "colère saine" dans le débat de l'entre-deux tours. Le président s'attache donc à gommer tout signe d'hystérie, non seulement en ce qui le concerne (promotion d'une nouvelle masculinité) mais également en ce qui concerne le gouvernement. C'est peut-être une des leçons à tirer du remaniement ministériel: la place des femmes se réduit sensiblement. L' "hystérie" Datique (folles dépenses vestimentaires, grossesse hypermédiatique, FOU-rire dans un débat pour les Européennes face aux jeunes UMP) est définitivement évincée, expulsée du gouvernement. L' "hystérie" de Rama Yade, créant la polémique sur de nombreux sujets, est aussi canalisée (on notera qu'elle récupère un poste, celui des sports, traditionnellement conçu comme masculin). Christine Albanel, qui a provoqué l'hystérie (française et européenne) autour de la loi Hadopi, quitte à son tour le gouvernement, remplacée par un homme.
Deux femmes sortent renforcées de ce remaniement: Michelle Alliot-Marie, qui a toujours su s'imposer dans des milieux masculins (défense, intérieur) et qui demandait encore récemment qu'on l'appelle Madame LE Ministre, remplace comme par hasard l' "hystérique" Dati (qui était dans une sur-enchère de féminité depuis le début du mandat), et Valérie Pécresse, qui a certainement su, aux yeux du président, se battre "comme un homme" face à la communauté universitaire. Ou bien Sarkozy n'a-t-il pas pu/voulu trancher entre Pécresse et Darcos. Mais ça, c'est une autre histoire...

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11 juillet 2009

"Slumdog Millionnaire" ou la mondialisation heureuse

Film britannique sur l’Inde (adapté d’un roman indien), acteurs Indiens, succès mondial. Tout est (presque) dit. « Slumdog » est sans conteste le premier film qui exalte avec tant d’efficacité ce qu’on pourrait appeler « la mondialisation heureuse ». Certes il y a des méchants, des étapes à franchir, des obstacles à surmonter, mais c’est la même histoire dans tous les contes de fée. Le plus important c’est qu’à la fin, le gentil héros gagne.
Et Jamal gagne … des millions ! C’est d’ailleurs un jeu télévisé mondialement connu et diffusé qui occupe le centre du film. On notera que la question décisive, qui concerne « Les Trois Mousquetaires », nous renvoie à une culture, certes classique, mais tout de même mondialisée.
Pas étonnant non plus que Jamal travaille dans un centre d’appel où les pendules affichent l’heure des principales métropoles du monde. Enfant, il guide les touristes occidentaux venus découvrir les merveilles d’une Inde fantasmée.

L’Inde justement cristallise les enjeux de la mondialisation. Le film s’inspire beaucoup de l’esthétique bollywoodienne (voir la scène de danse finale). Cette Inde, cœur d’une mondialisation contradictoire, n’échappe pas à son côté sombre : trafics de toutes sortes, exploitation des enfants, financiers mafieux et cyniques, seigneurs de la guerre économique, omniprésence de l’argent (sale). Pourtant, c’est bien la mondialisation, quasiment incarnée par « Qui veut gagner des millions ? », qui sauve Jamal et lui permet de retrouver son premier amour. L’alternance des plans entre le plateau télé et la baignoire où va mourir le frère de Jamal -celui qui a opté pour le versant sombre et sordide de la mondialisation- oppose l’argent gagné en toute innocence (Jamal refuse même de tricher et connaît en fait les réponses malgré lui) à l’argent de la corruption et des multiples malversations (matérialisé par les liasses de billets qui débordent de la baignoire). Face aux lumières des projecteurs (« Shining India » ?), l’obscurité du crime, la noirceur du vice. Face à la mondialisation ludique et fédératrice (les rues de Mumbai envahies par la population qui se presse devant les écrans de télé), la mondialisation qui sépare, détruit et tue.

Au fond, le schéma est simple, et plutôt connu : un jeune garçon pauvre, issu des bas-fonds de la société, accède au bonheur (comprendre richesse + amour) après une série d’épreuves initiatiques qui lui apprennent la vie (comme les réponses aux questions). Les résidus du merveilleux, ce sont justement les questions qui, malgré leur diversité, correspondent toujours à une expérience vécue par le héros.
La puissance de ce film, c’est qu’il est en fait une mise en abyme. Les milliers de spectateurs qui se pressent pour regarder le triomphe télévisé de Jamal sont à l’image des millions de personnes assises devant leur grand écran. C’est dans cette communion autour de nouveaux codes communs, autour de nouvelles références partagées que réside la secrète fascination euphorique qu’a pu susciter ce film à travers le monde. Joe Morgenstern, critique de cinéma du « Wall Street Journal » parle même du « premier chef-d'œuvre de la mondialisation ».
Pourtant, les réactions en Inde ont été mitigées, certains accusant le film d’être un fantasme occidental. Mais c’est bien là une définition possible de la mondialisation contemporaine, elle est une idéologie occidentale chargée de représentations, d’imaginaires collectifs qui déforment les réalités. Il suffit de voir les offres « exotiques » des agences de voyages pour s’en convaincre…

Ce qui me fait dire que la « mondialisation heureuse » triomphe à la fin de ce conte des temps modernes, c’est que le versant sombre de cette mondialisation est sans cesse réfuté par l’extrême vitalité qui se dégage du film. On ne compte pas les voyages en train accompagnés de musiques bien rythmées qui, elles aussi, ont fait le tour du monde (certaines reprises par des groupes américains). L’énergie vitale, qui circule des enfants (toujours enthousiastes, inventifs, espiègles) jusqu’à la foule en liesse de la fin du film (sans parler de la scène de danse finale), le mouvement perpétuel de l’euphorie finissent par occulter les pulsions de mort, dont la captivité (celle des enfants, celle de Latika) est une des facettes. La victoire de Jamal est l’occasion pour le cinéaste de concentrer (visuellement, symboliquement) en un instant toutes les énergies autour d’un plateau télé en forme de cercle (on fera attention au logo de l’émission, qui peut évoquer, sinon le globe terrestre, du moins une infinité de réseaux dans un espace circulaire fermé). Pour paraphraser Beckett, on pourrait dire de Jamal qu’à cet endroit, à ce moment-là, l’humanité c’est lui.

11 juillet 2009

Men's Studies: que peut la littérature?

"Il n'en reste pas moins que, tout en se réclamant de la contestation et de la subversion, en tout cas en France, les représentants de la triade formalisme-nihilisme-solipsisme occupent des positions idéologiquement dominantes (...). Pour eux, la relation apparente des oeuvres au monde n'est qu'un leurre (...). Si l'on admet qu'une oeuvre parle du monde, on exigera en tout cas qu'elle élimine les "bons sentiments" et nous révèle l'horreur définitive de la vie, sans quoi elle risque d'apparaître comme "insupportablement niaise". Ou, pire encore, qu'elle s'apparente à la littérature "populaire", celle dont la réputation est faite plus par les lecteurs que les critiques. Il est vrai que certains auteurs parviennent à s'imposer à l'attention générale alors qu'ils ne correspondent pas à ce modèle (...) Il reste que la forte présence dans les institutions, dans les médias, l'enseignement de cette conception à la française produit une image singulièrement appauvrie de l'art et de la littérature". (Tzvetan Todorov, "La Littérature en péril")

C'est dans la perspective de ce retour aux humanités - et peut-être à la littérature- que Todorov publie "La Littérature en péril" (2007). Il y appelle de ses voeux une littérature qui a retrouvé le chemin du monde. Or, qu'est-ce que la littérature, sinon un système de représentations du monde?
C'est ce champ des représentations qu'il nous faut explorer:
- parce qu'il prend en compte la spécificité de l'oeuvre littéraire comme représentation particulière de l'expérience humaine
- parce qu'il permet d'envisager l'infinie richesse de l'entreprise littéraire (en écoutant ce que l'oeuvre nous dit du/sur le monde)
- parce qu'il permet de croiser les disciplines et les approches (histoire, sociologie, psychanalyse, anthropologie...)

Les Men's Studies s'inscrivent parfaitement dans ce champ: le genre, comme l'a montré Judith Butler, résulte d'une construction discursive forclose. Le genre est une interprétation idéologique (au sens large du terme) du sexe biologique qui suppose et implique de multiples représentations du monde. Par conséquent, le genre est déjà lui-même une représentation (ou plutôt un système de représentations) du monde et des êtres qui le composent. Une représentation qui, pour se fonder en raison (et souvent en nature), refuse de se donner comme représentation. En effet, pour Judith Butler, les genres ne sont jamais présents mais toujours déjà re-présentés: l'homme travesti n'est donc pas copie d'un original (la femme, le féminin) mais copie d'une copie.
D'où la complexité des "gender studies" appliquées à la littérature (système de représentations de représentations qui ne disent pas leur nom). Il me semble que les "male studies" sont/seront, plus encore que les "female studies", confrontées à cette difficulté, tout simplement parce que la masculinité (assimilée au général, au neutre, à l'asexuation) ne s'est jamais posée et n'a jamais été posée (en tout cas, encore moins que la féminité) comme construction discursive, saisie dans un réseau de représentations diverses. On étudiera volontiers, sous l'angle du genre, les figures féminines -même secondaires- d'un roman sans transposer la démarche aux personnages masculins. Ainsi posera-t-on plus facilement la question des personnages féminins dans "Le Procès" de Kafka et de Welles (cf sujet du bac de français session 2005). Ainsi le programme d'agrégation de littérature comparée s'interressera-t-il plus volontiers aux destinées féminies dans le contexte du naturalisme européen. Ces choix témoignent certes d'une prise en compte heureuse de l'apport des "gender studies" à l'histoire littéraire, mais ils révèlent aussi un "impensé" du masculin qu'il nous revient de lever.

11 juillet 2009

Pourquoi les "men's sutdies"?

Force est de le constater, depuis l'irruption des "gender studies" dans les Universités et la pensée occidentales, l'attention et les efforts des recherches se sont tournés vers les "female studies".

Il faut certainement tenir compte d'un contexte, celui du mouvement féministe qui s'est saisi de ces nouvelles problématiques pour inscrire l'émancipation dans le champ des idées, pour écrire, aussi, l'histoire d'un sexe qui en avait été privé. Pourtant, en 1977, Nathalie Davis nous invitait déjà à "nous intéresser à l’histoire aussi bien des hommes que des femmes" en nous conseillant de "ne pas travailler seulement sur le sexe opprimé ".

Aujourd'hui, un frémissement en faveur des "men's studies" se fait clairement sentir. Le champ des études masculines, sous l'influence d'Alain Corbin et d'Anne-Marie Sohn notamment, s'ouvre enfin en France (A-M Sohn vient de publier le très documenté "Sois un homme - la construction de la masculinité au XIX°siècle").

Si certains s'en rejouissent, d'autres s'interrogent sur la nécessité de cette nouvelle aventure dans le monde des idées.

Pourquoi les "men's studies"?

D'abord, pour donner tout leur sens aux "female studies". En effet, la révolution du concept de genre consiste à réfuter tout essentialisme en affirmant que rien n'est donné, que rien ne va de soi et que l'identité sexuelle d'un individu est avant tout le produit de constructions idéologiques multiples et complexes. S'engage alors tout un travail de dé-construction qui a permis de mettre en lumière l'assimilation du masculin au général, à la norme et à l'universel comme instrument idéologique permettant de rejeter la femme dans le particulier, le singulier, l'écart.

Lancer les "men's studies", mener ce travail de dé-constructions dans le champ du masculin, c'est donc rappeler qu'il n'y a pas plus d'éternel masculin qu'il n'y a d'éternel féminin, c'est renverser de manière méthodique et scientifique le postulat (collectivement intériorisé) que l'homme égale l'universel (postulat dont la langue française porte la trace).

Mais il y a au moins une autre bonne raison de lancer les "male studies": elle nous est donnée par la multiplication des débats autour de ce que d'aucuns nomment la "féminisation de la société" (on se souvient du "Premier Sexe" d'Eric Zemmour, qui, même s'il expose de véritables aberrations essentialistes réactionnaires, a du moins le mérite de placer la question du masculin au centre de sa réflexion).

Incontestablement, des tensions entre les conceptions traditionnelles du masculin et certains phénomènes contemporains (la vague métro-sexuelle, la mode adolescente androgyne...) sont ressenties par tous, mais nous n'avons pas forcément les (bons) outils et la vue d'ensemble nécessaire pour les nommer, les appréhender, les décrire...

Même si l'émancipation de l'homme est encore, à certains égards, taboue, elle est d'ores et déjà engagée. Loin d'être une quelconque revanche sur les conquêtes féministes, cette émancipation s'appuie au contraire sur ces dernières pour tracer sa voie. Comme les femmes, les hommes sont prisonniers d'injonctions sociales qui leur assignent toute une série de comportements et de réflexes naturalisés. Comme les femmes, les hommes sont oppressés par des constructions idéologiques qui génèrent souffrances et frustrations. Il suffit, pour s'en convaincre, de rappeler l'usage que les totalitarismes ont pu faire du culte de la virilité.

Les apports des mouvements féministes et des "female studies", en faisant vaciller une conception du masculin que l'on croyait stable et hors de cause, ont, il me semble, profondément déstabilisé les hommes des sociétés occidentales. Face à cette masculinité en crise, deux options:

- la crispation virile ou viriliste, le retour aux concepts fixes et rassurants, mais passéistes et voués à faire la preuve de leur artificialité

- l'engagement dans un mouvement de redéfinition profonde des masculinités

Alors qu'aujourd'hui la quasi-totalité des recherches approfondies sur la question s'inscrivent dans une perspective gay et/ou queer, il est important que ces travaux et ces réflexions concernent toutes les masculinités, même (et peut-être surtout) celles qui semblent les plus "banales", les plus "normales" et les moins problématiques.

http://w6.ens-lsh.fr/devsite/hommes-masculinites/spip.php?rubrique58

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